18 février 2008, 18:02
Posté dans : Rapports

Politique et polémique de la mémoire

février 2008

 

Je me crois, même modestement, autorisé à m’interroger à haute voix sur la polémique déclenchée par la proposition du Président de la République sur la mémoire.

Sur le plan de la forme, il y a sans doute une critique de la méthode et un rejet systématique de l’initiative de l’homme, sur un sujet qui mériterait l’étude collective de sages. Mais on se souviendra du sort récent réservé aux rapports Attali, Pochard et consort, qui pourtant, relèvent a priori de démarches plus organisées…

Ace stade, il convient d’informer l’opinion que le dossier est par ailleurs au cœur des préoccupations de la République. Cette révélation « lâchée » par le Président Sarkozy n’est qu’une suggestion parmi d’autres de ce que pourrait être le contenu de la mémoire refondée, dont il a lui-même confié la réflexion aux Professeurs Becker et Kaspi et que nous suivons attentivement aux côtés d’Alain Marleix, Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants.

Après la mémoire revancharde enseignée par les hussards noirs de 1870 à 1914, l’école a dispensé une mémoire pacifiste dans l’entre-deux-guerres. Cette politique de mémoire, active et orientée, était accompagnée par une commémoration fervente de la part des survivants et le culte de toute une Nation, une et indivisible.

De nos jours, alors que les derniers poilus s’éteignent et que les rangs de ceux de 39-45 se sont clairsemés, la mémoire est surtout animée par les anciens d’AFN, dont la querelle au sujet du 19 mars et du 5 décembre interpelle et révèle une dualité d’approche. L’école s’est totalement retirée de sa démarche moralisatrice et du souvenir. Avec la société civile, elle s’attache à la démystification du miracle gaullien de la Libération et situe plutôt son devoir du côté de la repentance, comme si elle effectuait son propre mea culpa.

Face à cette situation nouvelle, où il apparaît pour beaucoup que la fierté de son passé doive être abandonnée, et où les anciens combattants ne seront bientôt plus représentés que pour les « OPEX »(*), comment redéfinir et véhiculer la mémoire ? A travers cette question se pose, bien sûr, celle de la forme que doit revêtir demain la mémoire, comme celle de son utilité.

En réalité, nous constatons que la mémoire n’est pas unique, mais multiple. Le seul choix d’un jour de commémoration pour un même conflit divise. Que penser alors de l’idée de décréter un « mémorial day » pour l’ensemble des guerres, à l’instar d’autres pays ?

Afin de sceller une mémoire européenne, doit-on éviter d’exacerber les guerres internes pour célébrer seulement les phénomènes relevant des crimes contre l’humanité ?

Doit-on ré-inclure l’école dans le processus ou rechercher d’autres vecteurs plus « contemporains » ?

Autant de questions qui appellent des réponses, et surtout un consensus.

Or, il est évident que le développement actuel de communautarismes est un obstacle dans notre démarche Comme pour la plupart des problématiques sociétales actuelles, nous sommes ramenés à la quête du graal du XXIème siècle, la refondation d’une citoyenneté, d’un socle de vie national ou européen, voire universel, selon que nous souhaitons que cette assise soit plus ou moins étendue. Plus largement nous voudrons embrasser, plus cette mémoire devra être consensuelle, et corrélativement plus elle perdra en puissance et en singularité.

Il reste que ces essais de définition sont sous tendus par la question essentielle de l’utilité de la mémoire, et du rôle que nous souhaitons lui assigner. Soit elle participe encore à l’âme de la Nation, de ce qui rassemble pour vivre ensemble, soit elle se limite à rappeler l’histoire pour que plus jamais elle ne se reproduise dans son horreur. La poursuite simultanée de ces deux buts deviendra de plus en plus difficile à concevoir, sauf à en réduire considérablement le dénominateur commun.

A mon sens, il s’agit d’une question de société essentielle et difficile, et je propose aux bonnes âmes de nous aider en apportant leur pierre à l’édifice, plutôt que d’enfler la critique de manière stérile.

A moins que, dans notre société médiatique de l’éphémère et de l’immédiat, on préfère disserter du caractère émotionnel ou non de telle mesure, alors qu’il ne s’agit que d’un agrégat, d’une colorisation propre à l’époque, sans intérêt fondamental.

Cela signifierait alors que la mémoire n’y a déjà plus sa place, et qu’à travers les « foutez-leur la paix » on doive entendre qu’Ils sont définitivement enterrés. Je m’y refuse aussi.

Février 2008

Charles Guené

Sénateur UMP de la Haute-Marne

Rapporteur spécial du budget des Anciens Combattants

(*) OPEX : Opérations militaires extérieures actuelles, et par extension, les militaires qui y participent.

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Ce billet a été publié le lundi 18 février 2008 à 18 h 33 il se trouve dans la catégorie Rapports.