22 juin 2011, 13:06
Posté dans : Actualités, Economie et finances, Interventions
Monsieur le Président, Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Nous abordons aujourd’hui l’examen de ce que j’espère être la première pierre d’un nouvel édifice fiscal.
La réforme de la fiscalité du patrimoine doit s’inscrire en effet dans une réforme plus globale, que nous aborderons peut-être dans le projet de loi de finances pour 2012 ou à l’occasion du projet présidentiel, qui devra nécessairement aménager ou réformer également la fiscalité comme les prélèvements dans leur ensemble, dans le cadre d’un rapprochement des fiscalités allemande et française.
Notre compétitivité économique et fiscale en dépend.
L’Union européenne, qui repose plus que jamais sur l’Allemagne et la France au moment où certaines économies européennes vacillent – la Grèce, l’Irlande, le Portugal, mais aussi l’Italie, dont l’agence de notation Moody’s hésite à dégrader la note souveraine – est un champ clos de concurrence fiscale et sociale.
La concurrence interne à l’Union européenne, sans parler de celle de la Chine et des économies émergentes, affaiblit notre compétitivité. L’harmonisation fiscale est indispensable.
Par conséquent, réjouissons-nous de cette première étape qui, je le rappelle, est l’aboutissement d’un travail concerté – cela n’a pas toujours été le cas – et j’oserais même dire qu’il est d’initiative parlementaire, tant la réforme de l’ISF a été un sujet récurrent ces dernières années, je veux évoquer : le triptyque défendu par notre rapporteur général, Jean-Pierre Fourcade et le président Arthuis, mais aussi à l’Assemblée nationale avec le fameux amendement Piron cosigné par un grand nombre de nos collègues.
La réforme de la fiscalité du patrimoine qui nous est proposé par le Gouvernement est aussi le fruit des travaux du groupe de travail qui a réuni 10 députés et 10 sénateurs dont le rapporteur général Philippe Marini, le président Jean Arthuis, mes collègues Marie-Hélène Des Egaulx, Albéric de Montgolfier, Joël Bourdin, Alain Chatillon, François Zochetto, Jean-Jacques Jégou et moi-même.
Pour ma part il me semble que ce projet, s’il peut toujours être affiné, est équilibré entre une amélioration de la justice fiscale et la préservation de notre compétitivité économique.
Notre système fiscal était devenu en partie contestable, les plus hauts revenus, grâce à une bonne optimisation fiscale, bénéficiant pleinement du bouclier et du plafonnement de l’ISF, au contraire des premières tranches.
Le bouclier et le plafonnement sont désormais supprimés.
Les plus hauts patrimoines et leurs revenus seront dorénavant davantage taxés.
La réforme prévoit que les deux nouvelles tranches de 0,25 et 0,5% remplaceront les 6 tranches actuelles de 0,55 à 1,8%.
Mais il ne faut pas se fier à ses seuls taux théoriques.
Après optimisation fiscale, les patrimoines taxables supérieurs à 16 millions d’euros bénéficiant du bouclier paient aujourd’hui 0,22% en moyenne, ils paieront demain 0,5% si la réforme est votée en l’état.
Ceux qui paieront moins d’ISF paieront plus de droits de succession ou de donations, soit une taxation orientée vers le flux plutôt que le stock, ce qui apparait comme un système fiscal plus juste et économiquement plus efficace pour le Gouvernement, comme pour nous.
Néanmoins, si le système demeurera plus juste après cette réforme, nous ne pouvons pas pour autant laisser dire qu’il était injuste auparavant.
La théorie de Thomas Piketty selon laquelle les personnes les plus modestes paieraient proportionnellement plus d’impôts que les plus fortunés est fausse.
Les chômeurs ne paient proportionnellement pas plus que Mme Bettencourt ! Pour la simple et bonne raison que sa théorie repose sur l’étude de l’imposition des revenus des 20 millions de Français qui travaillent à plus de 80%, en excluant justement ces chômeurs et les retraités, dont Mme Bettencourt fait partie.
Les courbes à l’appui de sa théorie ne sont plus les mêmes quand on réintègre ces personnes, et encore moins en tenant compte des revenus de la redistribution (RSA, minima sociaux,…) qui ne sont pas pris en compte dans la théorie de Piketty, qui ne se soucie que des revenus bruts.
Mais pour revenir au présent projet de loi de finances rectificative, le souci de justice se retrouve également dans le fait de ne pas oublier que le bouclier bénéficiait aussi à des foyers modestes.
Le groupe UMP salue la prise en compte de leur situation particulière par l’instauration d’un dispositif de plafonnement de la taxe foncière sur la résidence principale à 50% des revenus.
Il est en outre tout aussi juste de sortir de l’assiette de l’ISF la première tranche qui à cause de la seule valeur de la résidence principale qui ne procure aucun revenu, assujettissait – malgré l’abattement de 30% – 300.000 personnes, souvent bien loin d’être fortunées, et bientôt 200.000 supplémentaires dans les prochaines années, si rien n’était fait, comme cela a été rappelé par le ministre.
Je vois en outre deux qualités essentielles à ce projet : il ne dégrade pas les finances publiques et il est financé par les seuls assujettis à l’ISF.
Des ajustements seront sans aucun doute nécessaires dans le projet de loi de finances pour 2012 mais l’allégement des taux d’ISF, avec néanmoins une taxation au premier euro, et la disparition de la première tranche, sont compensés notamment par la suppression du bouclier fiscal, l’augmentation de la pression fiscale sur les plus grosses successions, la lutte contre l’évasion fiscale au travers de l’exit tax.
Nous aurons également un débat sur le remplacement de la taxation des résidences secondaires des non-résidents, qui s’est avérée non judicieuse pour des raisons que mon collègue Robert Del Picchia détaillera sans doute dans son intervention dans la présente discussion générale.
En matière de mesure de compensation, notre préférence ira vers la proposition du rapporteur général et de la commission des finances qui suggère de nuancer le lissage proposé par l’Assemblée nationale pour le retour de 6 à 10 ans de la période de donation, ainsi qu’une majoration supplémentaire des droits de partages.
Concernant les successions et donations, si les plus gros patrimoines sont concernés, le fort relèvement des abattements sur les droits de mutation à titre gratuit opéré par la loi TEPA d’août 2007 est maintenu ; cet allégement des droits de succession pour les personnes ayant accumulé un patrimoine après une vie de travail et souhaitant la transmettre, étant un acquis essentiel du quinquennat.
Au nom du groupe UMP, je me réjouis également que les députés aient renoncé à l’intégration des œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF.
Certes, l’actualité et la pratique interpellent à cet égard, mais l’impact culturel eût été désastreux, en poussant à la délocalisation de nos œuvres, appauvrissant ainsi notre patrimoine, les collections privées alimentant à 90% les collections publiques.
Pour un rendement fiscal incertain, c’eût été en outre un non-sens économique, alors que la concurrence internationale est de plus en plus forte au niveau du marché de l’art et que ce marché représente 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires réalisé par près de 400 sociétés, avec des conséquences en termes d’emplois, sans parler d’une baisse mécanique des recettes liées à la TVA.
Il nous faudra sans doute le moment venu réajuster la fiscalité de l’art, mais convenons que ce n’est pas le moment, tant ce sujet est complexe et mérite toute notre circonspection.
Je peux comprendre que beaucoup de nos collègues éprouvent, à l’occasion de cette loi de finances rectificative, l’envie d’une réforme plus profonde de notre système fiscal.
Le fiscaliste que je suis, qui a vu, au cours de ces décennies, s’éroder l’efficacité et parfois le sens de notre fiscalité, le ressent particulièrement, mais convenons que les conditions internationales et le temps politique n’étaient pas opportuns.
Qu’il me soit toutefois permis de faire un peu de prospective en indiquant ce qu’il ne faudra pas faire, tout en esquissant quelques pistes de bon sens, dans cet exercice à venir.
Toute réforme globale devra tenir compte de l’environnement international et reposer sur la triple nécessité de réduction des déficits, de la préférence pour la production sur la consommation, et de la compétitivité fiscale, tout en n’omettant pas l’équité voulue par nos compatriotes.
La volonté de réduire le déficit devra nécessairement s’appuyer sur les impôts pédagogiques que sont la CSG, la TVA et la préférence de la production devra imaginer un transfert de la protection sociale d’une base salaire vers une assise consommation.
Une fiscalité efficace doit aussi être équitable, c’est pourquoi l’impôt progressif ne devra être pas être confiscatoire, et que devra être préservé le maintien du quotient familial, et la prime à l’emploi, qui viennent corriger les effets d’une fiscalité de consommation pour les plus modestes.
Bien entendu, nous aurons aussi à nous interroger sur les limites de l’impôt progressif et plus généralement de la fiscalité réelle qui est opacifiée par un système de niches multiples qui obture de plus en plus l’imposition faciale, tout en surveillant le niveau des prélèvements qui « tangentent » déjà le supportable.
Pour terminer, je dirai qu’il nous appartiendra aussi d’en finir avec l’ISF qui constitue un véritable impôt sur le comportement, sans autre égal dans le monde moderne, pour ajuster notre fiscalité sur les flux qui correspond à l’approche des économies contemporaines.
Ce sera l’enjeu d’un débat national qui nous opposera aux concepts obsolètes de l’alourdissement de l’ISF, et d’un impôt sur le revenu ultra progressif, qui serait facteur de délocalisation, de non résorption des déficits sous couvert d’une égalité forcée et d’une justice fiscale contestable.
Mais, ce sera bien sûr le temps d’un autre rendez-vous.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, et en l’attente d’en débattre dans un autre contexte, le Groupe UMP estime que le texte proposé est une réponse calibrée aux circonstances, et correspond à une démarche courageuse, vertueuse et équitable, et il votera le projet de loi de finances rectificative.