10 juin 2010, 16:06
Posté dans : Rapports

Mon rapport sur la PPL relative à la taxation de certaines transactions financières

Proposition de loi de mon collègue Yvon COLLIN, du groupe RDSE

 

Monsieur le Président,

Mes chers collègues, 

Nous sommes réunis ce matin pour examiner une proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières, déposée par notre collègue Yvon Collin et les membres du groupe RDSE.

Si je suis conduis à suggérer le rejet de cette proposition de loi en séance publique ‑ pour des raisons que je vais développer ‑, je dois néanmoins admettre qu’elle arrive à point nommé pour que le Sénat puisse débattre de questions importantes, inscrites à l’agenda des réunions internationales.

Il convient en effet d’analyser ce texte au regard des multiples initiatives ‑ nationales ou multilatérales ‑ de taxation du secteur financier.

1. La proposition de loi tend à rendre effective, en droit français, la taxe Tobin.

Les auteurs estiment nécessaire d’instaurer « une taxation spécifique sur les transactions financières afin de ne plus inciter à la spéculation financière ». Pour ce faire, ils modifient l’article 235 ter ZD du code général des impôts pour rendre effective, en droit français, la taxe Tobin.

Cet article institue une taxation sur les transactions sur devises.

Son dispositif a été adopté à l’initiative de la commission des finances de l’Assemblée nationale lors de l’examen de la loi de finances pour 2002. Deux conditions avaient toutefois été introduites  à l’époque avec pour effet de le rendre inapplicable dans l’immédiat et de lui conférer une portée essentiellement symbolique.

La première porte sur le taux. En l’état actuel, il ne doit pas excéder 0,1 %. La loi renvoie cependant à un décret en Conseil d’Etat le soin de fixer le taux définitif dans le cadre de ce plafond. Le décret n’est jamais paru car la seconde condition n’est pas remplie.

Le IV de l’article 235 ter ZD prévoit en effet que ses dispositions entreront en vigueur « à la date à laquelle les Etats membres de la Communauté européenne auront dû achever l’intégration dans leur droit interne […] d’une taxe sur les transactions sur devises ».

En un mot, la France appliquera la taxe, pour autant que l’ensemble de nos partenaires l’appliquent ‑ ce qui est loin, très loin, d’être le cas aujourd’hui.

La proposition de loi lève ces deux conditions. Elle fixe un taux, même plusieurs ‑ j’y reviendrai ‑ et elle supprime la condition de réciprocité avec nos partenaires européens.

2. Le dispositif s’éloigne cependant de la vocation initiale de la taxe Tobin.

Permettez-moi de revenir quelques instants sur l’objet de la taxe Tobin. Elle constitue la toute première idée de taxe sur les transactions financières. Elle a été formulée en 1972 par un économiste réputé, James Tobin, qui devint par la suite Prix Nobel d’économie. La finalité de cette taxe est toutefois différente de celle que nous étudions ce matin. Selon l’expression de Tobin, il s’agissait initialement de mettre un « peu de sable dans la mécanique bien huilée de la finance internationale ». En effet, dans un contexte de mobilité du capital et de flexibilité des taux de change, une taxe frappant à un taux faible les transactions de change aurait permis de redonner un peu d’autonomie aux politiques monétaires. Elle fut toutefois abandonnée car elle ne se justifiait plus avec l’évolution des objectifs assignés aux dites politiques monétaires.

Dans le courant des années 1990, ses promoteurs ont fait valoir qu’elle pourrait permettre de limiter la spéculation financière.

3. La question posée aujourd’hui est donc de savoir si la taxe Tobin peut être un instrument efficace de lutte contre la spéculation.

La taxe a pour effet mécanique de renchérir les flux de capitaux à court terme. Si nous assimilons la spéculation à ces flux, alors, effectivement, la taxe Tobin tend à limiter la spéculation. Hélas, ce n’est probablement pas aussi évident. De nombreuses opérations de court terme peuvent être adossées à des opérations économiques réelles. Mais lesquelles ? A cette question, nous ne savons pas répondre. Mme Florence Parly, qui était secrétaire d’Etat au budget en 2001, expliquait notamment que « la différence observable entre une légitime couverture en devises sur une vente à terme et une obscure spéculation est infime ».

Dès lors, il ne me semble pas que la taxe Tobin puisse atteindre les objectifs qu’on lui prête. Certains économistes – que je cite dans le rapport écrit – vont même jusqu’à écrire que la taxe Tobin pourrait renforcer l’instabilité des marchés financiers ! Car elle tend à diminuer la liquidité disponible et pourrait donc se révéler plus dangereuse que profitable.

Quoi qu’il en soit, la taxe Tobin se heurte à deux obstacles majeurs.

Elle doit d’abord être internationale, faute de quoi les transactions se délocaliseront dans les pays qui ne l’appliquent pas. Pour cette simple raison, la proposition de loi n’est pas opérante et ne peut donc pas être adoptée. Elle serait même très dommageable à l’attractivité de la place de Paris : nous devons absolument éviter de nous tirer une « balle dans le pied ».

L’autre obstacle à la taxe Tobin est plus technique et porte, notamment, sur la question de la définition de l’assiette. Il est à craindre en effet que le développement incessant de l’ingénierie financière nuise à l’efficacité de la taxe.


4. La France défend toutefois le principe d’une taxe sur les transactions financières

Vous objecterez, avec raison, à mes arguments précédents que la France défend le principe d’une taxe sur les transactions financières. Le Parlement européen a également inscrit cette idée à son agenda en votant une résolution le 10 mars 2010. Il importe cependant de lever quelques malentendus.

a) La France défend la taxe sur les transactions financières au niveau international

La semaine dernière, Mme Lagarde, rappelait, à l’occasion de l’examen de la loi de finances rectificative, que la France participe activement au Groupe pilote sur les financements innovants. Ce groupe, composé de 59 Etats, organisations internationales et ONG, étudie notamment la création d’une taxe sur les transactions financières. Il doit ainsi s’attacher à lever les obstacles techniques que j’ai évoqués plus haut.

Pour la France, il est incontestable qu’une telle taxe doit être globale ou ne pas être !

b) Le projet français n’a pas pour objet de lutter contre la spéculation

Dans une tribune publié dans Le Monde, Mme Lagarde et M. Kouchner ont ainsi indiqué qu’il « ne s’agit pas de proposer la mise en place d’une taxe Tobin […] il s’agit de financer le développement, sans perturber les transactions financières. »

Le taux proposé par la France est de 0,005 % (5 centimes pour 1000 euros de transactions), soit dix fois moins que le taux de base retenu par la proposition de loi qui est de 0,05 %.

La taxe sur les transactions financières française est une taxe de rendement dont le produit doit permettre de financer des biens publics mondiaux ou encore le développement et la lutte contre le changement climatique.

Est-ce à dire que la France abandonne l’idée de lutter contre l’instabilité financière ? Non, bien sûr !

5. D’autres instruments, notamment une taxe sur les banques, font actuellement l’objet d’une réflexion en vue d’assurer la stabilité financière internationale

En bref, deux grands types d’instruments sont étudiés pour préserver la solidité du système financier international.

En premier lieu, il s’agit du renforcement des fonds propres des institutions financières. Cette question est traitée dans l’enceinte du Comité de Bâle et devrait aboutir d’ici la fin de l’année au nouveau cadre prudentiel dit de « Bâle III ». Le gouverneur Christian Noyer nous en a longuement parlé hier.

En second lieu, il s’agit d’une taxe sur les mêmes institutions selon le principe du « pollueur-payeur ».

Sur ce dernier point, les initiatives sont foisonnantes.

a) La taxe sur les banques pourrait alimenter un Fonds de résolution.

A l’heure actuelle, le FMI, la Commission européenne et l’Allemagne plaident pour que le produit d’une taxe sur les banques soit affecté à un tel Fonds de résolution. Celui-ci aurait pour vocation non pas de financer le sauvetage des banques en faillite, mais de les démanteler de façon ordonnée afin de cantonner le risque systémique.

A quelle échelle cette taxe doit-elle alors s’appliquer ? Le FMI répond au niveau mondial ; la Commission européenne, au niveau européen ; et l’Allemagne, au niveau national.

Dans le premier cas, le G 20 continue d’étudier cette possibilité même si aucun accord n’a pu être trouvé jusqu’à présent. A l’occasion de la réunion du G 20 à Toronto, le 26 juin prochain, le FMI remettra à nouveau un rapport sur cette question.

En ce qui concerne le niveau européen, Michel Barnier a annoncé qu’un texte serait proposé à l’automne afin de mettre en œuvre des Fonds de résolution nationaux alimentés par des taxes nationales. Celles-ci seraient toutefois définies à l’échelle communautaire pour ce qui est de leur taux et de leur assiette afin d’éviter des distorsions d’application entre les Etats membres.

Enfin, dans le cas d’une solution établie au niveau national, l’Allemagne a d’ores et déjà prévu qu’une taxe nationale serait affectée, dès septembre 2010, à la SoFFin, l’Agence fédérale de stabilisation des marchés financiers.

b) La taxe sur les banques peut également être versée au budget des Etats

En France, deux taxes ont été créées. La première est destinée à financer la supervision du secteur bancaire et assurantiel : il s’agit de la contribution pour frais de contrôle votée en loi de finances pour 2010.

La seconde est une taxe exceptionnelle sur les bonus des opérateurs de marché, payée par les banques au titre des bonus versés en 2009. Elle a été créée par la première loi de finances rectificative pour 2010. Si elle permet que le secteur financier participe au redressement des finances publiques, elle ne constitue pas un outil durable de stabilisation.

C’est pourquoi, la France défend également une taxe sur les banques qui relève du principe du pollueur-payeur. Elle propose toutefois que le produit soit directement affecté au budget général cependant que des outils de résolution seraient mis en place par ailleurs.

Le projet du Gouvernement est encore en préparation. Il n’est guère possible d’en dire plus pour le moment. Avant de conclure, je tiens à rappeler la position de la commission des finances.

Vous le savez, elle a proposé qu’une taxe sur les banques vienne en substitution de la taxe sur les salaires. Il s’agit de rendre un impôt existant plus intelligent puisqu’il serait assis sur les éléments les plus risqués du bilan. Une telle taxe contribuerait à prévenir – plutôt qu’à guérir – le risque systémique. Un rapport sur ce point devra en principe nous être rendu par le Gouvernement d’ici le 30 juin 2010.

Sachant que les banques devront faire un important effort de recapitalisation, la commission avait le souci de ne pas augmenter démesurément les charges imposées aux banques. La légitime préoccupation d’éviter d’autres crises ne doit pas nous conduire à perturber le financement de l’économie.

*

Au final, au terme de cette analyse, si je partage les préoccupations exprimées par Yvon Collin et les membres de son groupe, je ne pense pas que la proposition de loi puisse être votée par le Sénat :

– elle ne permet pas d’atteindre l’objectif qu’elle se fixe ;

– à défaut d’être adoptée au niveau international, elle risquerait de pénaliser gravement la place de Paris ;

– d’autres instruments sont envisageables et le débat que nous aurons le 23 juin sera l’occasion de faire le point avec le Gouvernement sur ce sujet capital.

Le texte prévoit, par ailleurs, des taux différenciés et plus élevés pour les transactions avec les paradis fiscaux : 0,1 % pour les transactions avec les pays inscrits sur la liste « grise » de l’OCDE ; 0,5 % pour les pays de la liste « noire ». Il s’agit d’un objectif partagé tant par le Gouvernement que par la commission. Toutefois, l’article 22 de la loi de finances rectificative pour 2009 a permis de doter notre pays d’un dispositif exhaustif de lutte contre les paradis fiscaux. Il importe, pour l’instant, de le laisser vivre. La France s’est notamment dotée de sa liste propre de paradis fiscaux. Dès lors, elle a établi un régime spécifique d’imposition des sommes en provenance ou à destination de ces territoires, que ce soit pour l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés.

Enfin, une ultime position de principe me conduit à émettre un avis de rejet en séance publique. La dernière Conférence des déficits a posé le principe selon lequel les questions fiscales relèveront désormais du domaine exclusif des lois de finances. Notre commission a longtemps milité pour une telle initiative. C’est pourquoi nous devons, avant même une loi constitutionnelle, l’appliquer à nous même avec constance et persévérance.

En conclusion, vous l’aurez compris, je ne suis pas favorable à l’adoption de la proposition de loi présentée par nos collègues du groupe RDSE. Cependant, je vous propose de ne pas la rejeter, ni de la modifier afin que la discussion en séance publique porte sur le texte originel rédigé par ses auteurs, conformément aux dispositions de l’article 42 de la Constitution et de l’article 42-6 du Règlement du Sénat. Il conviendra simplement de ne pas adopter les articles de ce texte ce qui entraînera de facto son rejet.

Je vous remercie.

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Ce billet a été publié le jeudi 10 juin 2010 à 16 h 09 il se trouve dans la catégorie Rapports.