21 octobre 2015, 10:10
Posté dans : Actualités
En ma qualité de Président de l’Association des Maires de la Haute-Marne, je suis intervenu le 10 octobre 2015 lors de son Congrès départemental, à Nogent.
Notre pays vit à la fois une crise économique et, au-delà, un séisme structurel, qui imposent tous deux de profondes réformes dont nous refusons de voir la nécessité.
Cette résistance est entretenue par une culture, qui veut que chez nous demain il fasse beau, sans que nous intervenions, comme si nous traversions une averse passagère, et force est de constater que cette culture est bien entretenue, mais aussi parce que, ainsi que j’essaie de le démontrer depuis au moins deux ans à cette tribune, nous n’avons pas de lisibilité, ni de ligne d’avenir claire.
Or, comme l’a dit Sénèque, « il n’y a pas de vent favorable, pour le navire qui ne connaît pas son port », selon une formule qui m’est chère.
Je vais donc dans les quelques moments qui me sont impartis, et faute de vous apporter les éléments tangibles attendus, tenter de faire le point avec vous, pour conserver la référence maritime.
En réalité, et pour faire court, notre planète est entrée dans un triple phénomène, celui de la mondialisation, celui de la numérisation, et celui de la métropolisation. Ainsi qu’aime à le rappeler Carlos Moreno, « le XIXème a été le siècle des empires, le XXème celui des nations, le XXIème sera celui des villes et des métropoles ».
La combinaison de ces trois facteurs nous a fait rentrer dans la 3ème révolution industrielle – l’I-économie entrepreneuriale – I comme intelligence, informatique, internet, innovation et intégration des systèmes.
Nous sommes passés du monde 2.0 de la propriété au monde 3.0 des usages des techniques de la révolution industrielle et cette mutation est dominée par des effets de réseaux et se double d’une mutation territoriale, « la métropolisation », métropoles qui vont croître deux fois plus vite que les autres villes, selon l’OCDE.
C’est au sein des ces métropoles, en réseau national et international, que va se jouer l’essentiel de l’innovation, de la croissance, dans un monde hyper connecté dans un open data, qui orientera la vie vers un nouveau modèle énergétique, architectural, et de transports, faisant appel aux nanotechnologies et à la bioéthique, lesquelles vont probablement nous amener à une révolution cognitive et « robotive», qui impactera profondément le fonctionnement et l’écosystème de la cité…
Rassurez-vous, je m’arrêterai là pour que nous retombions sur le plancher des vaches, mais attention, c’est pour dans 10, 15 ou 25 ans, ce sera du lourd, et ça vient,
Et j’ajouterai, la nostalgie n’a jamais été un mode de gouvernance…
Fermez le ban !…
« Et notre ruralité » me direz-vous ? J’allais y venir.
A partir du monde que je viens d’esquisser, cela donne « en creux »de plus vastes territoires avec une densité d’habitants très faible puisqu’en 2030, sur 8,3 milliards d’humains, près de 5 milliards habiterons en zone urbaine, avec une proportion de 90% sur 20% du territoire, pour ce qui nous concerne. Cela va amplifier les déserts ruraux et soulever deux sortes de défis :
– Le premier c’est que ces métropoles vont être contraintes d’une part de faire face aux défis mondiaux et aux défis humains propres à leur essence de rassemblement d’habitants comme de concentration économique ; mais elles devront aussi assurer leur rôle de pôle d’appui territorial.
– Le second, c’est que la concentration extrême des richesses sur ces territoires réduits, impose la mise en œuvre de péréquation des ressources à un niveau jamais égalé.
Et vous avez compris que ces objectifs sont parfois antinomiques.
C’est ce début de mutation que nous vivons actuellement avec les réformes territoriales qui se succèdent, ainsi qu’avec les réformes financières que nous subissons, et que nous devons restituer dans ce contexte plus large pour mieux les comprendre et au besoin les incliner.
Tout d’abord, les réformes territoriales. Dans ce domaine, je ne serai pas tendre avec le gouvernement en place, car il a sacrifié notre organisation territoriale à une politique politicienne qui déroute l’élu et demandera probablement une nouvelle révision de la copie.
Je ferai court sur la critique, car ce qui importe est surtout demain, mais reconnaissons que le conseiller territorial avait de loin été mieux pensé et plus efficace que le binôme.
Il ouvrait le champ à une évolution progressive du département et de la région, qui aurait laissé le temps à l’expérimental, à l’évolution, et permettait aux compétences de se positionner au fur et à mesure, avec des élus communs et moins nombreux.
La loi NOTRe au contraire, en s’étant fixé pour premier objectif de détruire l’existant, de supprimer le département et de mettre fin à la compétence générale, n’a atteint que son premier but et a conclu dans un compromis approximatif où le département subsiste mais exsangue et sans ressources, et où la compétence générale « new look » va figer l’action des collectivités locales pendant 18 mois, en l’attente des premiers conventionnements pour la mise en œuvre des schémas issus du partage de ces compétences, et du vote de leurs ressources par des majorités régionales nouvelles…
A l’heure où notre pays est en recherche de croissance, ce délai de latence va ajouter à la chute de l’investissement local, et je crains à cet égard pour certains territoires comme les nôtres, où la commande publique représente près des 2/3 du carnet des entreprises du BTP !…
Seconde conséquence. Comment les départements pourront-ils s’acquitter, sur des territoires comme les nôtres, de leur mission de « solidarité territoriale » fixée par la loi, alors qu’on leur enlèvera demain la moitié de la CVAE au profit des régions ?
Solidarité territoriale, qui soit dit en passant n’a pas fait l’objet d’une attention particulière, puisqu’au-delà de la formule, je n’ai rien lu de consistant quant au contenu ; et pour laquelle il nous faudra attendre la ressource budgétaire et les avancées de la loi pour en définir les contours, et je ne vois pas les départements se bousculer pour s’engouffrer dans cette nouvelle compétence- N’est-ce pas Bruno !?
Enfin, dernière préoccupation quant à l’organisation territoriale : les SDCI…
Nos territoires ont déjà été particulièrement ébranlés par le premier schéma, que déjà se profile le second, puisque la CDCI rencontrera à cet effet Monsieur le Préfet le 19 octobre si mon agenda est à jour.
Le schéma que nous devrons arrêter pour le milieu de l’année 2016 sera applicable dès le 1er janvier 2017.
Cette fois je ne ferai pas le procès de ce gouvernement, mais celui d’une certaine technocratie qui transcende les majorités.
En effet, tout est conçu dans un concept d’aboutissement au Graal que constituent les « agglomérations », qui doivent préfigurer la maille du futur. Je pense que ce schéma peut s’entendre pour Saint-Dizier qui se rapproche de la configuration d’une agglomération, mais je vois mal la réalité correspondant à une seule ou même à deux agglomérations pour la partie sud dans un avenir immédiat.
Je pense qu’en dehors de ceux qui feront l’objet de fusions volontaires, et ceux dont les critères obligent à une fusion immédiate, il convient plutôt de fixer les objectifs d’une carte à l’horizon 2020 ou 2026, et non pas en 2017.
Cela pour deux raisons :
– La première, c’est que souvent les villes n’ont pas encore réalisé les efforts d’intégration et de mutualisation, préalable indispensable à ces regroupements, et que de telles fusions entraineraient alors des contreperformances financières évidentes.
– La seconde, c’est que ce qui est concevable en zone urbaine, et dense, ne peut pas être dupliqué en zone rurale maintenant, car nous ne disposons pas encore des outils nécessaires à la gestion de grands espaces, que seront les communes nouvelles, et les habitudes de gestion que nous acquerrons notamment avec les pôles d’équilibre territoriaux et nos propres mises en réseau locales, car nous devons aussi prendre le temps d’effectuer notre révolution rurale.
Un système équivalent à l’agglomération n’a pas été encore suffisamment travaillé en territoire rural pour s’adapter. Il nous manque 5 à 10 ans pour nous organiser autour de nos villes de province, en fixant avec elles l’agenda 2020 ou 2026.
Confondre vitesse et précipitation serait dommageable, laissons les territoires se prendre en main et co-construire leur modèle de « vivre ensemble ».
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J’en viens maintenant au volet financier
La crise financière, et les concentrations de ressources ont appelé les grands mouvements financiers et fiscaux que nous vivons actuellement :
1/ la péréquation avec le FPIC,
2/ la contribution au redressement des finances publiques,
3/ et demain la réforme de la DGF.
Ces éléments relèvent des mêmes logiques que les tentatives d’organisation du territoire et sont devenues interdépendantes les unes des autres, en raison de la volonté souvent contradictoire des parlementaires, qui n’ont pas toujours les mêmes intérêts, et de la volonté de l’Etat d’utiliser la capacité financière des collectivités à son profit, mais aussi d’imposer une nécessaire justice territoriale par la péréquation, dans un mouvement de recentralisation que nous avions oublié.
A cet égard, je serai moins sévère avec le gouvernement que dans le début de mon propos, sauf en ce qui concerne le prélèvement sur la DGF, s’agissant du quantum et du délai d’exécution à marche forcée qui nous sont imposés.
Tout d’abord, la péréquation ou FPIC que nous avons mise en place en 2010, et qui a été courageusement maintenue par le gouvernement actuel, est la nécessaire contrepartie de la nouvelle concentration des ressources que j’évoquais précédemment.
Cette année, la loi de finances a prévu de limiter sa progression à 220 millions, alors que l’application stricte de la loi devait en porter le montant à environ 350.
Elle est favorable aux territoires ruraux ou défavorisés en général, et même si elle est dénoncée comme une double peine par les zones favorisées, elle a permis aux territoires comme les nôtres de passer le cap du gel, puis de la diminution des dotations. Elle est notre oxygène et il faut espérer que les parlementaires de tous bords ne s’entendront pas sur son blocage en prétextant les imperfections du système, griefs réels, mais pour lesquels la loi de finances prévoit plusieurs améliorations notables.
Quant à la contribution aux finances publiques :
12,5 milliards sur 4 ans, c’est beaucoup trop – surtout si on considère que les associations d’élus ont commis l’erreur d’en faire un prélèvement proportionnel aux dépenses. Il pénalise les plus dynamiques et ne tient pas compte des particularités de chacun, et surtout de la situation des territoires où la population et la ressource stagnent.
Sur ce point, le gouvernement ne calera pas, ce sera à nouveau 3,6 milliards. Il en a besoin pour équilibrer ses cadeaux budgétaires. Il n’accordera le report probablement qu’en 2017, en acceptant un différé d’un an, raison électorale oblige ! Ce sera sans doute un cadeau pour ses successeurs…
Enfin, la réforme de la DGF. Je suis un peu isolé, mais dans ce domaine, je donnerai un bon point au gouvernement, qui a compris qu’il devait l’utiliser comme outil de perfectionnement de la péréquation et de correction de la baisse de DGF actuelle. C’est sans doute à des fins politiques, pour satisfaire le plus grand nombre, mais les mécanismes sont favorables à la ruralité et ne boudons pas notre plaisir, même si la cause n’est pas si noble.
Elle repose sur une volonté réelle de corriger les rentes de situations historiques et de tenir compte des charges de centralité des bourgs centre, mais aussi des charges d’échelle des communes vivant dans des territoires à très faible densité.
En l’état du projet, la réforme crée pour les communes :
– Une nouvelle dotation de base par habitant de 75,72€, quelque soit la taille de la commune, en supprimant le coefficient logarithmique tant décrié.
– Une dotation de solidarité, basée sur la densité de population par rapport à la moyenne, la dotation est obtenue en multipliant ce rapport par 20€.
– Une dotation de centralité, qui résulte d’un partage entre la commune et l’intercommunalité, privilégiant le CIF et la population.
Les intercommunalités recevront quant à elles :
– Une dotation de péréquation, répartie en fonction de la population et de l’écart relatif de potentiel fiscal et du CIF.
– Une dotation d’intégration, en fonction de la population et du CIF.
– La dotation de centralité, correspondant à la part qui leur revient après partage avec les communes centres. Il y a un timide mais intéressant essai d’appréhender les besoins et les services au niveau d’un territoire, et non plus de ses seules communes, tout en ne portant pas atteinte à la commune.
Je n’irai pas plus loin dans le détail, car les calculs sont complexes et les mécanismes risquent malheureusement de varier avec la loi de finances.
Mais sachez qu’outre cela, la DSU et la DSR sont maintenues avec le même rythme de progression, et la DNP supprimée, avec gel du montant toutefois, pour ceux qui continuent à percevoir de la DSU et de la DSR…
Ce passage de l’ancienne DGF à la nouvelle ne se fera pas en une année, mais au rythme de 5% en plus ou en moins par an, soi sur 20 ans ? Ce n’est quand même pas la révolution !
Enfin, le gouvernement, conscient de la chute drastique des investissements qui risque de provoquer la baisse des dotations, met en place plusieurs dispositifs :
– Notamment le maintien d’une enveloppe de 200 millions de DETR en direction des territoires ruraux, comme cette année ;
– Une autre enveloppe de 300 millions réservée aux politiques de revitalisation et développement des bourgs centre.
– Une autre enveloppe de 500 millions réservée aux préfets pour les projets de rénovation thermique et le développement des énergies renouvelables.
Enfin, la récupération du FCTVA serait étendue aux dépenses d’entretien du patrimoine des collectivités ! Je rappelle qu’il y a aussi une fiscalité de prêt relai gratuit pour le FCTVA.
Tout cela va dans le bon sens, mais exige que les collectivités disposent encore d’un fond de roulement pour mettre les 20 à 40% restant, et ainsi que je le démontre dans un rapport avec plusieurs collègues du Sénat, cela ne sera pas possible pour un certain nombre d’entre elles qui vont être en quasi faillite durant une période plus ou moins longue. Il y aura, faute d’autres mesures, des collectivités qui seront dans le rouge.
Avant d’ne terminer sur le volet financier, je dirai que notre pays, au plan européen, ainsi que j’ai pu le constater lors de plusieurs missions, vit, en matière institutionnelle et financière, avec un retard particulier qui nous est préjudiciable.
Nous sommes parmi les rares pays qui ne disposons pas d’outil de gouvernance permanent, efficace entre l’Etat et les collectivités, alors que tous les autres pays ont mis en place une gouvernance systémique des finances publiques, à l’aide et à travers laquelle les élus et le gouvernement discutent des efforts à consentir entre les uns et les autres, au niveau du pacte de stabilité, décident ensemble lors de rendez-vous réguliers, et corrigent, le cas échéant, année après année.
Je pense que cette situation, si elle satisfait notre tempérament latin, ne peut perdurer longtemps, étant observé que même les italiens ont mis en place de tels outils.
En conclusion, et vous l’avez compris à travers mon propos, j’ai voulu affirmer avec force, que pour le mode d’organisation administrative, il nous reste un monde à inventer, celui de la nouvelle cité rurale, et à forger les outils de la nouvelle gouvernance de nos espaces ruraux.
Cela ne se fera pas par la force ni en plaquant sur les territoires des modes opératoires qui correspondent à ceux des aires urbaines. A vouloir s’y risquer, on retardera le processus et on cassera la spécificité française qui s’est toujours appuyée sur l’élu de terrain, en lui faisant confiance, même s’il a, j’en conviens, besoin de fortes incitations.
Sur le plan financier, vous avez compris que le gouvernement n’a pas été très adroit en n’acceptant pas de différer le prélèvement sur quelques années de plus, et en n’acceptant pas la demande des élus et des parlementaires de permettre la création d’une loi spécifique sur la réforme de la DGF, en préférant passer en force, dans la loi de finances 2016.
Il n’en demeure pas moins que les territoires ruraux, dans la mesure où le prélèvement se poursuit, ont plutôt intérêt à ce que la réforme de la DGF soit applicable en l’état, rapidement.
Beaucoup vont chercher le consensus dans le statu quo, mais j’espère vous avoir instruit sur l’identité de ceux à qui profite le crime !!
J’ai été long, mais il n’est pas facile de brosser ce type de panorama de manière ludique, aussi je vous demande de me pardonner et je veux croire, je sais même, que vous avez été nombreux à me suivre et que vous en avez saisi les enjeux.
Je vous remercie pour votre attention.