Photo Alain Poulet

Photo Alain Poulet

J’ai participé, le 7 avril dernier, à une conférence débat organisée par l’Institut de la Gouvernance Territoriale en association avec La Poste, sur le thème « l’évolution des services publics en Europe, quelles pratiques différenciées dans un cadre commun ? »

Voici le texte de mon intervention.

Ainsi que cela a été précédemment souligné, la problématique du service public dans ses fondements, comme dans sa composante juridique, commence à être relativement claire en Europe.

 

De la part d’un sénateur, il ne vous étonnera pas que je m’en remette à Gérard LARCHER, alors Ministre délégué aux relations du travail pour circonscrire le rapport des français avec la notion de service public : « Ce qui gêne la France, c’est que la conception européenne du service public préfère, à la conception organique à la française, une conception internationale axée sur le service rendu aux usagers.

Or, le service public ne se résume pas à une prestation de service, mais participe d’objectifs collectifs plus larges. La France raisonne à partir de la puissance publique, garante des solidarités et des libertés fondamentales. L’Union européenne, elle, aborde les services d’intérêt général comme des dérogations par rapport à la liberté de circulation des personnes, des biens et des services. »

 

Depuis, sous la pression de notre approche d’ailleurs, le service d’intérêt général, ou SIG, s’est fait jour, et l’Europe distingue désormais les services économiques et non-économiques, et il était relativement clairement établi que si ce sont les Etats qui déterminaient leur caractère, la commission pouvait cependant en remettre en cause l’appréciation.

 

Aux termes d’une jurisprudence aboutie et plus récemment du paquet SIEG MONTI KROES et, bien sûr, du traité de Lisbonne, le principe de subsidiarité a été admis et le droit européen consacre à cet égard :

  • la notion de qualité à un niveau élevé,
  • la sécurité et l’accessibilité,
  • l’égalité de traitement et un accès universel pour les services publics.

 

Pour autant, la question n’est pas complètement réglée, mais je crois que l’Europe n’est plus un obstacle insurmontable au service public et, pour continuer la référence à mon mentor, je reprendrai sa formule devenue encore plus pertinente aujourd’hui : « Il n’y a rien de contradictoire entre le droit communautaire et la doctrine française du service public », à laquelle il ajoutait « la menace représentée pour les français est davantage d’ordre affectif que juridique ».

 

Je voudrais, à cet instant, mesurer avec vous l’évolution des dernières années en la matière, sur le terrain, en évitant de m’en tenir aux simples concepts, pour ensuite tenter d’imaginer ce que pourrait être une préfiguration de son devenir.

 

Il est évident que les crises économiques que nous vivons depuis le milieu de la décennie 70 nous ont amenées à nous rapprocher de la notion d’efficience économique, aidé en cela par la technique et la numérisation des relations et des échanges.

 

Parallèlement, la décentralisation nous a amené aussi à reconsidérer une organisation territoriale très centralisée, homogène, qui s’est également accompagnée d’une déconcentration des services de l’Etat.

 

Je crois qu’on peut dire que c’est plus ce double mouvement économique et structurel qui nous a amené à nous pencher sur une évolution de nos services publics, que la pression du droit européen.

 

Et il n’est rien de dire que le mouvement s’est amplifié durant la dernière décennie.

Avec la LOLF et la RGPP, l’Etat a revu son mode de fonctionnement. Il lui reste sans doute un long chemin à parcourir pour une réorganisation territoriale simplifiée et adaptée qui :

  • accroisse son efficience,
  • réalise des économies,
  • réponde à l’évolution des besoins des usagers.

 

Ainsi que le préconise la Cour des Comptes dans son rapport sur l’organisation territoriale de juillet 2013, L’Etat doit :

  • Supprimer les doublons au sein de son administration, mais aussi avec les collectivités en clarifiant le recours aux opérateurs,
  • Supprimer et alléger son propre millefeuille,
  • Moduler et adapter ses services aux territoires,

Tout en revoyant ses méthodes et sa politique de gouvernance, de gestion, et de ressources humaines.

 

C’est également ce qui est demandé aujourd’hui aux collectivités locales à travers la Loi NOTRe, même si les postures politiques en brouillent totalement la lecture et, je le crains, le résultat…

 

Mais, curieusement, nous avons l’impression que les deux démarches sont totalement déconnectées, alors que la véritable révolution exigerait que chacun admette qu’il appartient à un tout et que la mutualisation doit s’opérer globalement.

 

Toutefois, n’en déplaise aux jacobins, une lueur de modernité scintille dans la « sphère Etat » comme dans celle des collectivités : on admet que la diversité des situations s’impose et justifie une organisation asymétrique, à travers une organisation spécifique pour l’Ile de France ou l’Outre-Mer, et la création ici de métropoles, alors qu’ailleurs on pressent un pôle d’équilibre territorial (PETR).

 

Que peut suggérer ce débat général et collectif sur l’organisation de l’Etat et des territoires, au regard de l’organisation plus réduite des services publics ?

Je crois que l’on peut assez bien tracer le fil et la prospective à travers l’évolution de La Poste et des services publics en général.

 

Comme l’Etat et les acteurs de la présence publique, les services publics s’interrogent sur la manière optimale de maintenir une couverture géographique qui ne peut plus être intégrale.

 

Après avoir réduit la voilure au plus fin, en l’adaptant aux contingences financières et en utilisant le progrès technique et le numérique au mieux, le service public s’est rationalisé intrinsèquement dans le cadre d’origine de l’Etat centralisé.

 

Cette étape opérée, il a dû se moduler au gré de l’impact géographique des réformes et de la réalité économique, en se reconfigurant de manière asymétrique pour gérer des secteurs de banlieues surchargées ou, au contraire, des zones reculées ou désertifiées.

 

Simultanément, il a dû contractualiser et mutualiser avec des services des collectivités, dont la nature publique permettait une symbiose dans l’appréhension de la mission de service public.

 

Puis, est venue, et vient encore à grand pas, la nécessité de rechercher des accords avec d’autres acteurs du service public, voire du service au public. C’est ainsi qu’est apparue la notion de « missions de l’Etat » qui pourrait bientôt ressurgir dans certaines sous-préfectures, ainsi que celle de Relais service public labellisé, qui s’est imposée avec une fortune variable depuis une décennie dans nos campagnes.

 

La pratique des Relais services publics labellisés a démontré que la viabilité de ces groupements reposait essentiellement sur les collectivités locales et l’Etat, et un partenariat fort avec d’autres acteurs, en particulier avec La Poste.

 

L’idée s’est alors progressivement imposée que le maillage du territoire devait s’organiser autour de La Poste, ceci afin de préserver à la fois le modèle de la présence postale, mais aussi de maintenir une véritable présence publique sur le territoire.

 

C’est le concept de Maison de services publics qui vient d’être discuté à l’Observatoire de La Poste, et qui contient, à mon avis, des prémices de solutions en accélérant le partenariat avec les autres acteurs et en le théorisant.

 

Ce mouvement de mutualisation et de partage d’énergie et de problématiques communes est celui du pari de l’intelligence territoriale.

 

Les territoires reculés, en dehors des axes d’échanges et des zones d’activité et de production, ne peuvent être laissés à l’abandon par la République. Ils doivent bénéficier d’une accessibilité aux services, non pas identique, mais de qualité et équitable au regard de leur appartenance et de leur participation à la Nation.

 

Cela explique et justifie la nécessité d’un service qui sera nécessairement financé par le service universel mais aussi la péréquation horizontale entre les collectivités.

 

Pour autant, les territoires porteurs de ressources, même s’ils ne les doivent pas toujours à leurs seuls efforts, ne peuvent accepter le partage et l’effort de la Nation que s’il est dimensionné au plus juste, au plus équitable, et que la ressource n’est pas gaspillée, et qu’ils le ressentent comme tel.

 

Outre cette exigence de s’adapter à un format raisonnable, il demeure encore des obstacles à cette progression :

  • L’acceptation de la diversité du territoire et, par là-même, de cette asymétrie de systèmes à mettre en place, et son corollaire, l’expérimentation,
  • L’évolution vers une généralisation des conditions de l’emploi, et bien sûr, l’évolution des carrières de la fonction publique vers un rapprochement de celles-ci, car c’est là un obstacle non négligeable à la mutualisation et à la rationalisation du fonctionnement de tout service regroupé.

 

Nos territoires s’y préparent et travaillent dans ce sens.

 

Je conviens qu’il y a de nombreux freins à cette évolution, mais le principal est sans doute celui qui consiste à ne pas vouloir admettre la diversité des territoires.

 

Ainsi, si l’intercommunalité est sans nul doute la maille la plus pertinente pour analyser les besoins des territoires en terme financier comme en terme de choix d’implantation de services publics, et qu’il est nécessaire de globaliser les espaces, il est tout aussi préjudiciable de penser que cette intercommunalité est une

 

Elle peut être urbaine ou rurale, périurbaine ou hyper rurale, et la vouloir à 20 000 habitants peut être une grossière aberration dans certains territoires, alors que ce chiffre est parfois d’une coupable insuffisance ailleurs.

 

L’identité communale reste encore très forte en France, et l’attachement de nos concitoyens à sa capacité citoyenne nous amènera probablement à une généralisation des communes nouvelles, qui les respecteront, plutôt qu’à leur absorption par les intercommunalités qu’ils effaceraient.

 

A travers cela, je crois que la « cité rurale » doit rester dans notre esprit plus qu’une institution, mais une nécessité. Jusqu’alors, le développement ne pouvait être pensé sans la ville, source unique d’une entité politique sociale et économique.

Cette enveloppe était devenue l’espace de développement et elle le reste majoritairement, puisque 85% de nos concitoyens y vivent, alors que la ruralité dispersée et éclatée est vidée, généralement mal desservie, impropre aux économies d’échelles et à la consommation de masse et au maintien des services aux populations. L’Etat, les acteurs et les réalités économiques ont accentué le mouvement en confortant les grandes centralisations économiques sur la ville.

 

Mais cette réalité, rurale et de certains espaces urbains oubliés, perdure et bénéficie d’une engouement particulier, avec ces opportunités nouvelles, la fibre a pénétré, ces espaces sont devenus de véritables réseaux, parsemés d’identités diverses, et où l’information synchronisée peut devenir instantanée et partageable. La cité rurale pourrait alors devenir une possibilité politique, économique et culturelle pour des bassins de vie entiers, qui dépasserait le « polymorphisme centré ».

 

Même si ces territoires attendent un projet humain, ne pourrait-on pas imaginer en faire autre chose que des espaces de survie, mais un socle de vie ?

Ces territoires qui ont bénéficié d’investissement lourds et ont été le creuset de la croissance économique sur le temps long, ne peuvent-ils pas le redevenir demain ?

L’avenir des pionniers se situe toujours sur les marges abandonnées où reposent souvent les ressources de demain.

 

Et si le besoin de service public sur le territoire n’était pas seulement une étape dans un processus de déclin, mais une constante fondamentale et permanente de la gestion des ressources et qui relève de l’identité d’une Nation.

 

La question mérite d’être posée pour nos territoires, ne serait-ce que pour aider près de 30 % de leurs électeurs à sortir, selon la belle formule de Tillinac « d’un refuge aléatoire et sans issue de désarrois au demeurant légitimes »…

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Ce billet a été publié le vendredi 22 mai 2015 à 10 h 32 il se trouve dans la catégorie Actualités.