2 février 2015, 10:02
Posté dans : Actualités
Je suis intervenu le 27 janvier, lors du débat en hémicycle sur l’évolution des finances locales.
Voici le texte de mon intervention.
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,
Disserter de l’évolution des finances locales en 7 minutes relève de la gageure, surtout lorsqu’on peut être amené à retourner aux affaires dans quelques temps !…
J’ai donc choisi de me livrer à un peu de prospective générale en traitant le sujet en quatre parties, dans une optique universitaire.
1) Quelles bases pour un nouvel impôt local ?
2) Hétérogénéité des territoires et péréquation…
3) Autonomie fiscale
4) Une nouvelle gouvernance des finances publiques.
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1) Quelles peuvent être les bases d’un nouvel impôt local ?
L’histoire de la fiscalité locale moderne comporte des étapes phares.
- 1789, l’origine, avec la création des contributions directes nouvelles,
- 1917, on substitue aux contributions directes l’impôt sur le revenu, tout en conservant la référence aux « principaux fictifs ».
- L’ordonnance du 7 janvier 1959, qui fonde une nouvelle fiscalité, qui ne sera mise en place que dans les années 70 puis 80, et qui est assise sur des valeurs locatives et qui instaure la taxe professionnelle.
- Enfin la réforme de 2010 / 2015, après le double constat de la nécessité de revoir les bases de l’impôt économique, vidé de sa substance et devenu dotation d’Etat pour moitié et la naissance de la CET.
Nous avons indubitablement manqué d’audace depuis 1789, alors que nous aurions pu alors déconnecter le système local du système national pour lui donner une certaine indépendance.
En 2015, alors qu’il nous appartient de finaliser la réforme en cours, je suis de ceux qui pensent que nous serons à nouveau conservateurs :
- Sous la pression fiscale générale, qui empêchera d’orienter la fiscalité locale vers des critères touchant aux revenus, ce qui n’est pas fait pour me déplaire.
- Et le besoin de ressources dynamiques auquel est confronté l’Etat, l’empêchera de consentir au transfert d’impôts nouveaux souhaité.
On peut donc estimer qu’en la matière, nous nous acheminons vers le statu quo, avec une orientation renforcée vers un système de dotation, sans oublier, bien sûr, les effets induits par le transfert de compétences issus de la loi NOTRe, et ceux de la contribution à l’effort de redressement national…
Il importera, bien sûr, que l’équité fiscale soit accentuée à travers la révision des valeurs locatives qui ne doit plus souffrir d’aucun retard.
2) Hétérogénéité des territoires, mondialisation et péréquation…
Jusqu’à la fin du XXème siècle, chacun a pu se satisfaire d’un système largement corrélé aux fondamentaux de notre fiscalité nationale, que sont les investissements corporels et leur localisation géographique.
Le crédo étant le lien entre le contribuable et l’élu avec, au faîte du dispositif, le rapport de l’impôt économique avec le territoire concerné.
Cette règle a trouvé pendant longtemps sa justification, tant que l’économie pouvait se déployer harmonieusement sur le seul territoire national, en accordant une prime aux plus ingénieux et à ceux qui déployaient de justes efforts pour attirer et capter industrie et économie.
Depuis une ou deux décennies, force est de constater que notre géographie économique, altérée par la mondialisation, s’est cristallisée sur des zones stratégiques, portuaires, de convergences logistiques ou de consommation, et sur les zones urbanisées qui offrent la main d’œuvre qualifiée attendue.
Il s’en est suivi une dichotomie territoriale, où les territoires à fort potentiels côtoient désormais une hyper ruralité, sans pour autant que la perspective de la métropolisation ne soit en mesure de résoudre cette fracture.
Dès lors, le choix que nous avons fait de ne pas répartir nationalement l’impôt économique, nous obligea à amplifier la péréquation pour assurer la survie des territoires ruraux.
En contrepartie, cette situation nous oblige à plusieurs constats et mesures :
- L’hétérogénéité des territoires exige que nous passions le plus rapidement possible à une territorialisation des politiques et des financements, mais aussi de l’évaluation des besoins, comme à l’agrégation des potentialités.
Nous ne pouvons plus raisonner de manière macro-économique sur l’ensemble de l’hexagone pour faire nos projections et nos études. Nous devons recourir à une modélisation des divers territoires existants pour vérifier leur comportement et l’impact subi à travers les réformes successives.
L’exemple de l’ODEDEL de la dernière loi de programmation avec l’option de chiffres globalisés sur l’hexagone me parait être une erreur !, car il ne permet pas la lecture de la diversité territoriale.
Il conviendra, bien sûr, de prendre aussi la mesure de toutes les péréquations et contre péréquations existantes sous toutes leurs formes, et pallier l’incohérence des valeurs locatives en la matière, en raisonnant sur ces territoires agrégés.
Les mécanismes de la péréquation doivent être affinés et adaptés aux modélisations, et les effets nocifs actuels corrigés, mais il est important que chacun intègre le fait qu’elle est désormais consubstantielle au système existant, et ce d’autant plus que l’effort de contribution de 12,5 milliards est prélevé aux collectivités à l’aune de leurs recettes et n’a donc aucun caractère péréquateur.
A cet égard, les seuls choix du gouvernement ne peuvent porter que le degré de renforcement de la péréquation ou l’allongement de la période de contribution…
J’en viens au 3ème point marquant :
3) La question épineuse de l’autonomie fiscale
Dont on pourrait limiter le débat en disant qu’elle a été réglée par les réformes constitutionnelles de 2003 et 2004, et explicitée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision sur la Loi de finances de 2010.
L’autonomie fiscale n’existe pas en droit français.
Le concept, né avec les lois des années 1970, qui ont donné l’illusion, et plus, d’une autonomie fiscale avec le droit de voter les taux, correspondait à une aspiration et à un besoin réel du système local, l’Etat n’étant plus en mesure d’assumer lui-même le développement du Pays, et l’idée d’y substituer les collectivités pour partie s’y étant instillé.
Le mouvement fut accentué par les 30 Glorieuses, et c’est ainsi que progressa l’idée de la décentralisation et de l’autonomie.
Mais, alors que ce système se mettait en place vers 1975, intervenait la première crise mondiale et les premiers budgets nationaux en déséquilibre. La suite ne sera que l’expression de ce mouvement contradictoire entre cette énergie nouvelle libérée au profit des collectivités, et la tentation de l’Etat de la tempérer afin de retrouver l’équilibre perdu de ses budgets.
Nous aurions, sans doute, dû utiliser ces années de lutte stérile pour troquer cette illusoire autonomie fiscale contre des parties d’impôts nationaux sans pouvoir de taux, mais corrélés à l’activité économique, à l’instar de ce qui se pratique autour de nous, mais on ne refait pas l’histoire.
Il reste qu’aujourd’hui, l’Etat a fait dépendre le financement des collectivités assez largement de dotations, a diminué le poids de l’impôt économique au sein du panier de ressources pour mieux en assumer le contrôle en ces temps difficiles.
Ces deux effets cumulatif de perte d’autonomie fiscale et d’encadrement par une enveloppe normée contribuent, à juste titre, à un ressenti de politique de recentralisation.
Enfin, quatrième et dernier point, que j’appellerai :
4) Vers une nouvelle gouvernance des finances publiques
J’appartiens à ceux qui militent depuis quelques lustres, pour une remise à plat impliquant que les finances publiques ne forment « qu’un », et qu’elles doivent être régulées dans un système partenarial de contrôle.
Un tel objectif nécessite que nous clarifiions notre fonctionnement systémique.
C’est ce que nous tentons de faire actuellement, d’ailleurs, avec plus ou moins de bonheur, avec la loi NOTRe après la MAPTAM. Nous devons, pour ce faire, mettre en place un lieu de dialogue et les outils de cette gouvernance.
La Conférence Nationale des Finances Publiques, le Haut Conseil des Territoires, sont au rang de ces tentatives et les aspirations financières de la loi NOTRe essaient d’en réintroduire les principes.
La volonté d’institutionnaliser le CFL y est aussi présente, et constitue une nouvelle tentative de réinstauration de cette normalisation du dialogue.
Si l’Etat a beaucoup de progrès à faire sur le plan qualitatif de sa démarche, le CFL, ou l’instance qui sera retenue, et où le Sénat représentant les territoires doit avoir tout son rôle, ne doit pas être une simple chambre d’ajustement, mais doit bien devenir un espace de co-construction des finances publiques. Nous devons aller dans cette direction, ainsi que dans celle d’un meilleur accès aux informations de l’Etat vers le Parlement et les acteurs.
Le pouvoir politique et la libre administration dépendent largement du pouvoir fiscal. Aussi, faute d’avoir la liberté d’action sur les taux, les collectivités doivent pouvoir participer à la décision.
Parallèlement à ce mouvement, les collectivités doivent aussi rentrer dans la normalisation et la modernisation des procédures, celle des évaluations, de la mutualisation, elles le font à grand pas, d’ailleurs.
Avec la loi NOTRe, nous sommes aspirés vers la certification, vers une dépense « circonstanciée ».
Les collectivités devront choisir entre la dépense vertueuse ou un arbitrage démocratique plus étroit de la décision. Les dispositions de la loi nous imposeront demain de travailler aux choix alternatifs, aux évaluations préalables du fonctionnement des investissements futurs. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre, là aussi, et qui fera partie intégrante de l’évolution des finances publiques.
Ma conclusion sera brève.
Je ne pense pas que l’évolution des finances locales nous réservera, pour l’immédiat, de grandes surprises au niveau des bases nouvelles de l’impôt. L’essentiel a été fait à cet égard.
La mutation prochaine viendra lorsque le système fiscal national aura, lui-aussi, intégré la numérisation de l’économie qui érode les bases fiscales actuelles, et cela dépendra assez largement d’un consensus international.
La crise économique actuelle et la résorption durable de la dette nous contraindront à ne pas élargir le spectre fiscal des collectivités à des impôts plus dynamiques, l’Etat se les réservant.
La fracture croissante entre nos territoires, qui ne sera pas améliorée par la transition énergétique, va accentuer le besoin de péréquation, mais aussi, avec son ampleur, celui d’en adapter les outils pour que cette péréquation atteigne véritablement ses objectifs d’équité.
Enfin, l’autonomie fiscale sera pour longtemps remisée et nous devrons nous évertuer à constituer avec l’Etat un équilibre dans la gouvernance, entre la soutenabilité des finances publiques, exigée au plan international, et la réalité politique, économique et sociale que la République veut conserver à ses collectivités.