23 avril 2015, 11:04
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La FONDAFIP, association pour la fondation internationale de finances publique, présidée par le Professeur Michel BOUVIER, a organisé le 13 avril 2015 un colloque sur le thème de « la Sécurité Fiscale », en présence de Monsieur Christian ECKERT, secrétaire d’état chargé du budget.
Voici le texte de mon intervention :
La « sécurité fiscale » est le principe de sécurité juridique appliqué à la fiscalité. Il connaît bien sûr des atténuations et des différences, qui s’expliquent par la spécificité de l’impôt.
En qualité de parlementaire, j’évoquerai tout d’abord le cadre juridique pur qui s’impose au législateur en essayant d’éviter les redites, pour examiner ensuite le poids de l’administration et la contrainte plus politique qui interviennent inévitablement dans son appréhension, pour examiner à chaque fois, comment le parlement est impacté.
A/ Sur le plan du droit, la Constitution de 1958 affirme clairement les prérogatives du Parlement en matière fiscale en son article 34 qui prévoit ainsi que « la loi fixe les règles concernant (…) l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».
Nous pourrions nous arrêter là !…
Toutefois, dans les faits, c’est le Gouvernement, via le projet de loi de finances et l’administration, qui conservent la haute main sur ce domaine, y compris donc sur la question de la sécurité fiscale.
Plus précisément, la sécurité fiscale se joue à trois niveaux : la non-rétroactivité, la stabilité et l’intelligibilité de la loi fiscale. Le Parlement a sa part de responsabilité à chaque fois, mais ses pouvoirs sont soumis à rude épreuve.
1. La non-rétroactivité de la loi fiscale
Le principe de non-rétroactivité (art. 2 du code civil) connaît de nombreuses exceptions en matière fiscale.
Selon une jurisprudence du Conseil constitutionnel de janvier 2013 désormais bien établie, on peut, en droit, distinguer la « petite rétroactivité » qui tient au fait générateur de l’IR et de l’IS à l’année n-1, et la « grande rétroactivité » qui vient remettre en cause des situations acquises – ce qui n’est possible qu’avec un motif d’intérêt général suffisant.
On se référera aussi au rapport d’Olivier DASSAULT, député, sur la PPL constitutionnelle et la PPL organique tendant à encadrer la rétroactivité des lois fiscales (29 mai 2013).
D’autres que moi vous ont expliqué ce qu’il advient de ce distinguo subtil…
A titre d’exemple, je souhaiterais évoquer les dispositions de l’article 4 de la LFI pour 2015, tout aussi intéressant que regrettable du point de vue du Parlement, qui alignent le régime d’imposition des plus-values de cessions des terrains à bâtir sur celui, plus favorable, des terrains bâtis.
Toutefois, l’administration avait publié une instruction fiscale dès le 10 septembre 2014 pour définir les modalités concrètes du dispositif, dont l’entrée en vigueur était prévue dès le 1er septembre 2014… soit bien avant le vote du Parlement !
Dès lors, le Gouvernement mettait le Parlement dans une situation inconfortable dans la mesure où le dispositif était déjà appliqué et où des contribuables avaient pris des décisions, il devenait très difficile de faire évoluer le texte en cours de discussion parlementaire. Cette politique du fait accompli, qui méconnaît la compétence fiscale du législateur, doit demeurer exceptionnelle et justifiée par des conditions d’urgence – en l’espèce, c’est la nécessité d’éviter l’attentisme des propriétaires qui était invoquée. Par ailleurs, cela revenait en quelque sorte à publier une circulaire contra legem…
La même méthode avait été retenue l’année précédente pour le régime d’imposition plus favorable des plus-values de cession des immeubles bâtis…
2. J’en viens maintenant à la stabilité et la prévisibilité de la loi fiscale, si le Gouvernement est à l’origine de l’essentiel des mesures fiscales, le Parlement a toutefois une responsabilité dans la stabilité de la loi fiscale – ou parfois, de fait, dans son instabilité…
L’instabilité de la norme fiscale est un véritable problème, dont pâtissent à la fois les citoyens et les entreprises. Ainsi, plus d’un dixième du code général des impôts (CGI), qui compte 2 500 pages et 4 000 articles, est modifié chaque année. C’est ce qui ressortait du rapport public annuel 2006 du Conseil d’État, Sécurité juridique et complexité du droit)
– Le même rapport relève qu’entre 2000 et 2005, le crédit impôt recherche (CIR) a connu pas moins de 23 modifications législatives…
– De même, avant sa suppression, la taxe professionnelle avait connu 68 modifications en 35 ans (rapport Gallois 2012).
Bien que la meilleure volonté soit souvent affichée de mettre un terme à l’instabilité fiscale, elle apparait moins distinctement dans sa mise en œuvre. Le rapport Gallois de 2012 par exemple, sur la compétitive, propose que le Gouvernement s’engage à ne pas modifier 5 dispositifs, au moins, au cours du quinquennat : le CIR, les dispositifs dits «Dutreil» favorisant la détention et les transmissions d’entreprises, la contribution économique territoriale (CET), les incitations «sociales» aux jeunes entreprises innovantes (JEI), et enfin les dispositifs en faveur de l’investissement dans les PME, notamment l’IR PME et l’ISF PME.
Je vous laisse le soin d’en apprécier les suites réelles…
La question de l’instabilité vaut aussi pour les décrets, les instructions fiscales (40 000 pages de BOFiP, la doctrine de l’administration fiscale) etc.
Mais la sécurité fiscale passe également par la procédure fiscale :
– Ainsi, Le livre des procédures fiscales (LPF), qui date de 1982, prévoit plusieurs garanties, régulièrement renforcées : encadrement du droit de visite et de saisie, procédure contradictoire etc.
– La commission des infractions fiscales (CIF) quant à elle donne un avis sur l’opportunité des poursuites pour fraude fiscale que peut seul engager le ministre des finances. Il s’agit d’une garantie pour le contribuable. Plus généralement, le Sénat avait très largement débattu du « verrou de Bercy », c’est-à-dire du monopole des poursuites pour fraude fiscale, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économie et financière, en 2013.
Egalement beaucoup de litiges se dénouent par une simple négociation à l’amiable entre le contribuable et le fisc, sans réclamation et sans procédure, ce qui n’est pas idéal en termes de sécurité juridique et de prévisibilité.
Toutefois, quelques avancées récentes en la matière peuvent être soulignées :
– La DGFiP a lancé en 2013 la « relation de confiance » avec les entreprises, qui consiste en une validation « en amont » de leurs options fiscales, dans un dialogue transparent avec l’administration. Toutefois le succès de la démarche, qui suppose un véritable changement culturel, reste à confirmer.
– La DGFiP a publié au début du mois une liste de 17 montages fiscaux qu’elle considère comme abusifs, essentiellement à destination des entreprises et des redevables de l’ISF. Le Parlement a été très actif sur le sujet : à la suite de plusieurs rapports (Woerth 2013, Bocquet 2012 et 2013), de nombreux amendements ont été déposés, tendant à instituer une obligation de déclaration préalable des schémas d’optimisation fiscale, pesant sur les intermédiaires (fiscalistes etc.) qui les commercialisent. Un dispositif adopté en LFI 2014 avait toutefois été censuré par le Conseil constitutionnel, au motif que, compte tenu de la gravité des sanctions prévues, le législateur avait retenu une définition trop imprécise de la notion de « schéma d’optimisation fiscale ».
– Je citerais enfin la circulaire « Cazeneuve » du 21 juin 2013, qui a créé le « service de traitement des déclarations fiscales rectificatives » (STDR) à l’attention des contribuables détenant des avoirs non déclarés à l’étranger, et prévoit un barème « explicite » pour les repentis : 15 % de majoration et 1,5 % d’amende pour les fraudeurs « passifs » (héritiers etc.), et 30 % de majoration et 3 % d’amende pour les fraudeurs « actifs ». Ce service a d’ores et déjà permis de récupérer 2 milliards d’euros en 2014 au titre des redressements et des pénalités. A ce titre, un rapport annuel sur les résultats du STDR est d’ailleurs adressé aux commissions des finances de l’AN et du Sénat.
Mais au-delà de la stabilité de la norme fiscale se pose la question de la stabilité de la « politique fiscale », et notamment au plan de la cohérence des annonces.
– Il me vient à l’esprit l’annonce faite par le Premier ministre le 8 avril concernant la mise en place d’un « suramortissement » de 40 % pour les investissements productifs des entreprises, alors que le Gouvernement avait donné un avis défavorable à un amendement de même esprit (et moins cher !) adopté à la quasi-unanimité par le Sénat en PLFR 2014.
– On peut évoquer également les hésitations sur la meilleure solution entre crédit d’impôt (CICE) ou baisse des charges sociales (annoncée à l’avance), ayant généré entre autres, l’épisode des « pigeons » et des « poussins ».
3. Quant à l’intelligibilité de la loi fiscale, bien que nul ne soit censé ignorer la loi, chacun conviendra qu’elle apparait parfois bien compliquée au regard de l’imbrication des textes, de leurs volumes, comme de leurs formulations.
A cet égard, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 16 décembre 1999, reconnaît une valeur constitutionnelle à l’objectif « d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi », lequel s’applique bien entendu à la loi fiscale. Il a du reste réaffirmé ce principe à l’occasion de l’examen de la loi de finances pour 2006.
Le Parlement, tout comme le Gouvernement, a bien sûr une responsabilité dans l’intelligibilité de la loi fiscale. Dans ce cadre, il est primordial que la préparation des lois de finances ainsi qu’une meilleure concertation entre le Gouvernement et le Parlement restent un objectif prioritaire pour sans cesse l’améliorer, mais je ne développerai pas davantage ce point ici, devant les gens avertis que vous êtes…
B/ Je veux évoquer maintenant le rôle de l’administration dans la sécurité fiscale, et surligner ses travers, même si de gros progrès ont été réalisés à la suite des initiatives Balladur et Woerth.
Le Président Fouquet a commis comme chacun le sait un remarquable rapport en 2008 intitulé : Améliorer la sécurité juridique et les relations entre l’administration fiscale et les contribuables.
« L’instabilité et la complexité de la norme fiscale » sont pour lui « la première cause d’insécurité juridique »
Sans vouloir reprendre ce que d’autres ont déjà dit beaucoup mieux que moi, je pense qu’Olivier Fouquet a très bien cerné le poids de l’administration fiscale, et il juge la dialectique qui s’est instaurée entre les acteurs, je le cite, comme « désespérante ».
Il est intéressant de relever brièvement, puisqu’il est déjà intervenu devant vous, qu’il distingue trois domaines à travers lesquels la lutte fait rage, et qui ne peuvent laisser le parlementaire insensible dans son rôle de contrôle du gouvernement, au regard de la liberté de nos concitoyens.
- 1. L’imperfection des garanties offertes par rapports aux changements de doctrine :
Il évoque à cet égard les refus, quelques fois ouverts, de l’administration de se conformer aux décisions du Conseil d’Etat ou de la Cour de Cassation.
- 2. L’instabilité de la loi fiscale
Il rappelle cette fois comment nous avons modifié 58 fois la réglementation CIR, en faisant en sorte qu’au moins la moitié des amendements, souvent puisés de bonne source, ne passe pas devant le Conseil d’Etat…
- 3. Enfin, il termine par les tentatives excessives de réforme de l’abus de droit, qui ont été censurées par le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 29 décembre 2013, ce qui a obligé le Président de la République à siffler la fin de la récréation, en février 2014, en sanctuarisant en particulier le CIR.
Je crois qu’il était important de souligner ces points, dans cette enceinte, car l’administration en temps de crise s’éloigne très souvent des impératifs de sécurité fiscale, au prétexte d’une certaine efficacité, (et puis cela laisse un peu le législateur moins seul dans sa responsabilité !…).
C/ Ces repères de nature juridique ayant été évoqués, ils sont pour le politique, à classer au rang des éléments objectifs qui bordent le travail du parlementaire de manière intemporelle, mais ils ne touchent pas à la nature subjective du contenu politique de sa mission, qui est sujette à d’autres influences.
Je crois qu’on peut, à cet égard, distinguer deux axes, le premier qui tient aux contingences régulières du temps, et le second qui relève plus de la prospective et du lendemain, lesquels doivent être aussi au centre de la préoccupation du législateur.
1. J’en viens tout d’abord au premier point qui s’attache à la nature de l’impôt. Pour être suffisamment sécurisé, l’impôt doit être stable et intelligible pour chacun, dans son quantum et sa composante sociétale, de façon à être acceptable et soutenable, par une majorité, afin qu’il ne soit pas périodiquement remis en cause.
Tout ce ci nous amène à un arbitrage entre équité et efficacité, et chacun doit bien admettre, avec l’expérience des temps présents, la part de subjectivité que comportent l’idée et le concept d’égalité et d’équité fiscale.
Il est évident que l’alternance dans un pays comme le nôtre, compte tenu de l’absence totale de consensus entre les partis de gouvernement reste un véritable sujet, et une cause d’instabilité.
Car si la taxation optimale est en théorie un arbitrage entre équité et efficacité, on mesure aussi les variations possibles de l’équation si l’un des termes vient à être modifié dans des proportions considérables.
Pour un contribuable et un acteur économique, la stratégie est en effet soumise à rude épreuve, selon qu’on fera reposer le curseur de l’impôt alternativement sur le capital, sur les moyens de production, sur la consommation, sur les flux ou les plus values, etc…
Une lueur d’espoir semble cependant se profiler depuis une douzaine de mois dans notre pays, mais les débats internes au parlement font apparaître des oppositions très nettes, et ne peuvent rassurer pleinement les contribuables sur la stabilité de la ligne nouvelle, dans le temps…
2. Le second axe que je voudrais évoquer pour terminer est celui de la nécessaire évolution de la fiscalité face à la globalisation de l’économie, couplée à la généralisation du numérique.
Ce mouvement oblige en effet à une réforme à deux niveaux :
Tout d’abord, parce que le numérique colonise la chaine de valeur de toutes les entreprises, et grâce à sa facilité consubstantielle à découpler, de manière systématique le lieu d’établissement des entreprises et les lieux de consommation des services, il dévore tous les secteurs, et conduit à terme à une érosion quasi-totale de la base fiscale classique.
D’autre part, la globalisation de l’économie permet d’utiliser des structures juridiques qui sont optimisées dès l’origine pour gérer autrement la propriété intellectuelle des actifs incorporels et les services dématérialisés, de sorte qu’ils ont choisi les localisations fiscales les plus avantageuses et peuvent s’adapter à chaque évolution, en changeant de résidence fiscale ou en inclinant des flux quasi-virtuels.
Dès lors, notre fiscalité doit à la fois appréhender les nouveaux concepts du numérique, et adapter continuellement le droit aux situations nouvelles. Elle doit simultanément déployer tous ses efforts pour harmoniser les solutions et le droit au plan international.
Ceci sous-entend que l’approche de la stabilité fiscale ne doit plus s’entendre au plan national, mais dans le sens d’une convergence internationale, ce qui remet à la fois nos valeurs sociétale d’acceptabilité et de justice fiscale en cause, tout en permettant certes un jeu d’influence, mais dans lequel nous ne savons pas toujours qui sera le gagnant.
Je voudrais conclure en indiquant que désormais l’aspect juridique et national n’est plus le vecteur essentiel de l’insécurité fiscale, mais que de nombreux paramètres y contribuent également et en font aujourd’hui l’un des éléments premiers de la compétitivité dans toute sa complexité en posant la nécessité de réforme permanente d’un système fiscal menacé d’obsolescence. La sécurité fiscale est devenue un enjeu international, et son intelligibilité comme sa stabilité dépassent largement le cadre franco-français.