25 mars 2011, 11:03
Posté dans : Actualités, Rapports
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La commission des finances a procédé, le 23 mars, à l’examen de mon rapport sur la proposition de loi de Madame le Sénateur BEAUFILS, « tendant à assurer la juste participation des entreprises au financement de l’action publique locale et à renforcer la péréquation des ressources fiscales ».
Cette proposition de loi, qui sera discutée en séance publique le 30 mars prochain, émane du groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
Je ne suis pas favorable à cette proposition de loi, et voici les raisons qui motivent ma position.
Par cette proposition de loi, les auteurs ont voulu mettre l’accent sur les difficultés résultant pour les collectivités territoriales de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale – la CET. Ils pointent le risque pour les collectivités d’avoir à accroître la charge fiscale pesant sur leurs contribuables ou à réduire leurs dépenses. En outre, ils estiment qu’aucune réponse n’a été apportée par le législateur sur la nécessaire péréquation des ressources des collectivités.
La solution préconisée par la proposition de loi ne me paraît pas opportune. En effet, d’une part, il ne me paraît pas souhaitable d’accroître la charge fiscale pesant sur les entreprises françaises et, d’autre part, les dispositions du texte relatives à la péréquation ne sont pas satisfaisantes.
Tout d’abord, voici en quelques mots les principes et les modalités de la nouvelle taxation proposées par Madame BEAUFILS et ses collègues. Il s’agit d’une taxation additionnelle à la CET qui reposerait sur les actifs financiers des entreprises.
Avant de rentrer dans le détail, je précise que – d’après les auteurs et je n’ai pas été en mesure de confirmer ou d’infirmer leur chiffrage – la base imposable résultant de la proposition s’élèverait à 6 000 milliards d’euros. Ainsi, au taux de 0,3 %, le dispositif proposé permettrait de lever près de 18 milliards d’euros. Voilà une somme dont il faut bien mesurer le montant exorbitant ! 18 milliards, c’est à peu près une augmentation d’un point du taux de prélèvements obligatoires ; c’est aussi plus d’un tiers de la recette de l’impôt sur les sociétés. Nos collègues nous suggèrent donc de procéder à un alourdissement très substantiel de la fiscalité des entreprises. En 2009, avec la réforme de la TP, nous avons allégé leur charge fiscale d’environ 5 milliards d’euros. La PPL annulerait purement et simplement les effets bénéfiques de cette réforme. Plus encore, en période de reprise économique, elle ne manquerait pas d’envoyer un signal particulièrement négatif au secteur productif avec toutes les conséquences sur l’emploi que nous pouvons imaginer.
Mais, si le seul problème réside dans le montant du produit collecté, il suffit d’ajuster le taux de la taxation. Je veux donc m’attarder plus longuement sur son assiette. Celle-ci n’est pas exempte de motifs que je pourrais qualifier d’idéologiques avec lesquels je suis bien évidemment en désaccord.
Je cite l’exposé des motifs : « La sur-accumulation de capital financier, y compris à visée spéculative, fondée sur une préemption constante et permanente des richesses créées par l’activité réelle, n’est toujours pas découragée ni prise en compte dans l’assiette fiscale de la CET. […] Il nous a semblé nécessaire de procéder à un ajustement sensible de la base de CET en y ajoutant, en tant que base imposable, les actifs financiers figurant au bilan des entreprises assujetties. […] La prise en compte des actifs financiers peut contribuer à modifier les choix de gestion des entreprises en faveur de l’emploi et de l’investissement productif ».
Cette proposition de loi a donc également pour objet de lutter contre la spéculation et tend, pour ce faire, à vouloir modifier les choix de gestion de l’entreprise, au mépris, soit dit en passant, de la liberté d’entreprendre !
Il me semble que les auteurs font un raccourci un peu rapide entre « actifs financiers » et « spéculation » ou, à tout le moins, « activités improductives ». Or, et même si certains de ses acteurs l’ont oublié ces dernières années – et je le regrette ! – la sphère financière est au service de l’économie réelle.
Pour le dire autrement, les actifs financiers détenus par une entreprise sont le plus souvent la contrepartie d’une opération réelle. Par exemple, les immobilisations financières, c’est-à-dire les actifs de long terme, tels que les titres de participation correspondent à des choix stratégiques de l’entreprise et non à des opérations spéculatives.
De même, le plus souvent, les actifs financiers de court terme ne sont que des modalités de gestion d’un excédent de trésorerie.
Au demeurant, même si j’adhérais à cette logique, je doute que l’assiette d’imposition définie à l’article 1er permette d’atteindre l’objectif que se fixe la proposition. En particulier, plusieurs imprécisions rédactionnelles, que je détaille dans le rapport écrit, pourraient permettre aux entreprises d’échapper à la taxation. Le régime applicable au secteur financier n’est pas clair. Selon l’interprétation des dispositions qui lui sont applicables, il pourrait soit échapper massivement à la taxation, soit, à l’inverse, être taxé sur la quasi-totalité de son bilan.
L’article 2 fixe le taux de la taxation à 0,3 % pour la première année. Ensuite, ce taux évolue chaque année et pour chaque entreprise assujettie, « à proportion d’un coefficient issu du rapport entre actifs financiers et valeur ajoutée ». Il me semble que, pour les auteurs, le ratio actifs financiers / valeur ajoutée correspond à un indicateur de l’intensité spéculative de l’entreprise, ce qui est très contestable pour les raisons que j’évoquais précédemment. Par exemple, le ratio serait très élevé pour les entreprises du secteur financier puisque, par définition, leur bilan est majoritairement constitué d’actifs financiers. Elles verraient donc leur imposition augmenter de manière exponentielle année après année.
En tout état de cause, un tel système ne manquerait pas de créer une lourdeur administrative supplémentaire, tout aussi injuste qu’inutile.
Je précise enfin, pour en terminer sur les modalités de l’imposition que l’article 4 prévoit, qu’elle n’est pas considérée comme une charge déductible au titre de l’impôt sur les sociétés. Il s’agit d’une dérogation au droit commun de la fiscalité des entreprises qui ne trouve, en l’espèce, aucune justification particulière.
Quant aux dispositions du texte relatives à la péréquation, l’article 3 de la présente proposition de loi prévoit que le produit résultant de l’imposition mise en place par ses articles 1er et 2 sera versé au profit d’un « fonds national de péréquation », dont les ressources seraient réparties au profit de l’ensemble des collectivités territoriales françaises.
Cette répartition se ferait en deux temps : un abondement des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP), puis une répartition du surplus entre les régions, les départements, les EPCI et les communes.
Le dispositif proposé par le présent article souffre de plusieurs insuffisances qui me conduisent à ne pas l’approuver.
Tout d’abord, l’abondement des FDPTP est redondant. En effet, l’article 1648 A du code général des impôts, dans sa rédaction actuelle, dispose déjà que les FDPTP perçoivent en 2011 une dotation de l’Etat dont le montant est égal à la somme des versements effectués par eux au titre de 2009 au profit des communes, des EPCI et des agglomérations nouvelles dits « défavorisés ».
Cette disposition s’articule avec l’article 125 de la loi de finances pour 2010, qui a prévu qu’à compter de l’année 2012, les FDPTP perçoivent chaque année une dotation de l’Etat dont le montant est égal à celui qui leur a été versé en 2011. Il résulte de ces deux dispositions que les FDPTP sont déjà garantis, à partir de l’année 2011, à hauteur des versements qu’ils auront effectués au profit des communes dites « défavorisées » au titre de l’année 2009.
En outre, puisque le dispositif proposé ne supprime pas les dispositions que j’ai évoquées de l’article 125 de la loi de finances pour 2010, il conduirait à verser deux fois les sommes visées aux FDPTP.
Par ailleurs, le dispositif proposé pour les FDPTP est inopérant. D’une part, il ne traite que de l’année 2012 et rend donc incertaine l’alimentation des FDPTP à compter de l’année 2013. D’autre part, en se substituant à la rédaction actuelle de l’article 1648 A du code général des impôts, il supprime la dotation de l’Etat qui doit, en 2011, alimenter les FDPTP. Or, le dispositif de l’article fait référence, pour calculer les montants reversés en 2012, à ceux de l’année 2011, qui auraient donc été nuls.
Enfin, en prévoyant que les bénéficiaires des reversements des FDPTP en 2011 percevront les mêmes montants en 2012, il prive de toute marge de manœuvre les conseils généraux qui ont la charge de cette répartition.
L’article 3 de la présente proposition de loi dispose qu’après abondement des FDPTP, « le surplus des ressources du fonds est alloué aux régions pour 20 %, aux départements pour 30 %, aux communes et aux EPCI pour le solde, à chaque échelon, en fonction d’un indice synthétique représentatif de leurs ressources et de leurs charges dont les caractères sont définis par décret ».
Ces modalités de répartition appellent également de nombreuses réserves. En effet, si l’on se réfère aux évaluations de ses auteurs, les 17,55 milliards d’euros restant à répartir après abondement des FDPTP viendraient augmenter les recettes des collectivités territoriales à hauteur de 3,5 milliards d’euros pour les régions, 5,3 milliards d’euros pour les départements et 8,8 milliards d’euros pour les communes et les EPCI.
Si l’on compare ces montants aux recettes actuelles de chaque catégorie de collectivités territoriales, ces ressources supplémentaires viendraient accroître, en 2012, de 12,6 % les recettes totales des régions, de 7,9 % celles des départements et de 7,4 % celles des communes et des EPCI à fiscalité propre.
Je ne peux souscrire à cette proposition, qui majorerait d’une manière que je juge inconsidérée les ressources des collectivités territoriales, sans rapport avec leurs besoins de financement.
Enfin, je relève que la présente proposition de loi se contente de se référer à une disposition réglementaire pour déterminer les modalités de répartition, au sein de chaque catégorie de collectivités territoriales, des ressources du fonds national de péréquation.
Notre commission des finances a créé un groupe de travail qui s’attache notamment à définir les critères de ressources et de charges les plus pertinents pour mettre en place des outils de péréquation efficaces. J’estime qu’il convient de mener à bien cette réflexion, en évitant de renvoyer au pouvoir réglementaire la définition des critères d’une juste péréquation.
D’ailleurs, contrairement à ce qu’avance l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, plusieurs dispositifs législatifs ont déjà été votés : un fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) perçus par les départements, opérationnel dès cette année, deux fonds nationaux de péréquation de la CVAE des régions et des départements et un fonds national de péréquation des recettes fiscales intercommunales et communales, qui seront opérationnels en 2012.
Il n’est donc pas exact d’affirmer qu’aucune réponse n’est apportée en matière de péréquation des ressources des collectivités territoriales et votre commission des finances veillera, à travers son groupe de travail et lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, à ce que les outils de péréquation prévus par la loi soient justes et efficaces.